Mon intestin et mon tube digestif se fâchent :Comment rétablir la communication avec nos intestin ?

Le cerveau et le tube digestif communiquent tous les jours au quotidien  et de façon bidirectionnelle. La médecine traditionnelle asiatique vieille de quelques millénaires voit le corps, le cœur et l’esprit comme un tout, intégrant dans sa philosophie le concept de cette communication cerveau-TD. De même, qu’intuitivement, le langage populaire regorge d’expression reliant les deux entités telle en français « avoir la peur au ventre » et en anglais « to feel fear in its belly » pour n’en citer que celles-ci.

On sait depuis peu que le tube digestif contient environ 200 millions de neurones et certains n’hésitent pas à le qualifier de 2ème cerveau. Ces neurones s’organisent en 2 plexus : l’un essentiellement moteur le système nerveux entérique (SNE) myentérique et le second sous muqueux responsable de la communication entre la lumière digestive et le système immunitaire résident. Ce SNE sous muqueux intègre déjà à son niveau la multitude de flux d’informations  provenant de la lumière digestive et ils sont nombreux.

Comment ça fonctionne ?

Le tube digestif est habité par 100 milliards de microorganismes appelés microbiote, actuellement considéré comme un organe à part entière. Son existence longtemps soupçonnée, a été démontrée grâce à la métagénomique et au séquençage du génome bactérien. Le microbiote intervient non seulement dans les fonctions digestives physiologiques mais aussi dans le maintien de la trophicité des muqueuses digestives et dans la modulation de l’immunité digestive innée et acquise. Cette atmosphère, en constante mouvance est transmise au système nerveux central par le système nerveux autonome périphérique (SNA).

Le système nerveux autonome est constitué de 2 systèmes antagonistes modulant les boucles physiologiques constituant la balance sympatho vagale permet le fonctionnement normal du tube digestif. Le système nerveux sympathique et le système nerveux parasympathique. Ce dernier, est essentiellement représenté par le nerf vague ou Xème paire des nerfs crâniens. Il est constitué de 90% d’afférences, c’est-à-dire de fibres qui apportent les informations digestives au système nerveux central. Leur rôle est essentiel dans le fonctionnement digestif physiologique qui est exécuté par 90% d’entre elles. Les 10 % des autres fibres afférentes sont impliquées dans l’activation de la réponse des glandes surrénales en stimulant l’axe corticotrope. Seules 10% des fibres du X sont efférentes. Elles répondent aux stimulations provenant du microcosme digestif par une action anti inflammatoire en limitant les processus inflammatoires au niveau de la paroi intestinale. Ces fibres efférentes constituent la voie cholinergique anti inflammatoire (VCA).

La VCA semble être déficiente dans un certain nombre de maladie chronique du tube digestif telle que les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) et le syndrome du colon irritable (SII). Cette déficience est appelée hypotonie vagale, elle rompt la balance sympatho vagale ce qui constitue une cible thérapeutique par excellence.

Au cours d’un stress, prenons l’exemple d’une infection intestinale, les cellules de l’immunité innée, les macrophages, vont détecter l’agent pathogène et le bombarder de protéines destinées à l’éliminer. Ce sont des cytokines : le TNF alpha et l’interleukine 1 en représentent le chef de fil. L’information arrive au SNC et la voie corticotrope est activée (illustrée en bleu sur le schéma). Il y a alors libération par la médullo-surrénale, du cortisol qui est un anti inflammatoire endogène.

La VCA est par ailleurs directement activée au cours du stresse. Elle libère de l’acétyle choline (Ach) au niveau de sa terminaison nerveuse, à proximité du macrophage. Le macrophage possède à sa surface un récepteur à l’Ach. L’activation de ce récepteur (au niveau de la sous unité alpha 7) va bloquer la libération des cytokines et notamment du TNF alpha. La VCA a une action anti TNF alpha, au même titre que les biothérapies utilisées dans les MICI.

La diminution du tonus vagal induit des maladies digestives:

Plusieurs études ont démontré que dans les MICI, il existait une hypotonie de la VCA anti-inflammatoire dans la maladie en poussée comparativement à la maladie en rémission. Il existe un moyen simple de le démontrer : l’étude de la variabilité cardiaque ou Heart rate variability (HRV) dans le cadre de l’exploration du SNA, une spécialité à part entière.

Un laboratoire d’exploration du SNA a été crée au Maroc sous la houlette du Professeur Halima Benjelloune.

La stimulation de la voie cholinergique anti-inflammatoire permet la guérison chez un grand nombre de patients :

La stimulation de cette voie anti-inflammatoire existe depuis l’aube des temps dans les médecines ancestrales et trouve aujourd’hui écho dans la médecine moderne et factuelle. Les niveaux d’intervention sur la VCA sont multiples.

Elle peut se faire au niveau central et c’est là que l’on rejoint les médecines traditionnelles actuellement renommées médecine complémentaires. La méditation, le yoga, le « mindfulness » ou pleine conscience sont autant de disciplines anti-inflammatoires, aussi étrange que cela puisse paraître au premier abord.

Le jeûne a une action anti-inflammatoire qui passe par la stimulation de la VCA. Au cours du jeûne, la ghréline (hormone stimulant l’appétit) est libérée par l’estomac et stimule directement celle-ci. Cette effet est démontré par la méthode HRV qui objective l’augmentation du tonus du vagal au cours du jeûne.

A l’inverse, une alimentation riche en oméga 3, va libérer de la CCK (cholécystokinine, hormone duodénale) à l’arrivée des graisses dans le duodénum, ce qui provoque l’augmentation du tonus de la VCA.

Les poissons gras, comme le saumon, le maquereau, le thon et les sardines, sont riches en acides gras oméga-3 et possèdent des propriétés anti-inflammatoires incontestables.

Enfin, l’exercice physique impacte directement la VCA et cela a été démontré par la mesure du HRV.

`La stimulation peut se faire au niveau de la VCA sur le trajet efférent gauche du nerf vague directement par voie électrique grâce à un courant à basse fréquence, ceci soit, en implantant un stimulateur par voie neurochirurgicale, soit de façon non invasive en plaçant au niveau cochléaire une neurostimulateur.

Des études réalisées sur de petits effectifs, certes, ont néanmoins prouvé une réelle efficacité thérapeutique aussi bien chez des patients naïfs de tout traitement que chez des patients en échec thérapeutique aux traitements immunosuppresseurs et aux biologiques tels que les anti TNF alpha (infliximab et adalimimab).

La rémission était obtenue chez 80 % d’entre eux sur le plan clinique et endoscopique avec une normalisation des marqueurs de l’inflammation, du taux du TNF et de la balance sympathovagale.

Ces résultats sont encourageants et ouvrent la perspective d’utiliser les circuits neuronaux anti inflammatoires physiologiques naturels, dépourvus d’effets secondaires parfois lourds des médicaments modulateurs de l’immunité.

Le projet d’une étude MICI est en cours d’évaluation au laboratoire de SNA RABAT

Cela revient à dire que l’on peut rétablir une communication normale entre le cerveau et le tube digestif, parfois par des moyens simples, en s’extrayant au stress, en mangeant mieux et en pratiquant une activité physique. On peut ainsi réconcilier nos deux cerveaux et calmer l’inflammation.

Rien de meilleur qu’une communication vertueuse pour calmer les malentendus !

Références:

Bonaz B. Propriétés anti-inflammatoires du nerf vague : implications thérapeutiques en gastroentérologie Hegel Vol. 5 N° 3-2015

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Lumma AL, Kok BE, Singer T. Is meditation always relaxing? Investigating heart rate, heart rate variability, experienced effort and likeability during training of three types of meditation. Int J Psychophysiol 2015 Jul;97(1):38- 45

Clarençon D, Pellissier S, Sinniger V, Kibleur A, Hoffman D, Vercueil L, David O, Bonaz B. Long term effects of low frequency (10 hz) vagus nerve stimulation on EEG and heart rate variability in Crohn’s disease: a case report. Brain Stimul 2014 Nov-Dec;7(6):914-6.

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